Vol. 1 (2024): La honte
À la croisée d’une histoire des sensibilités et d’une histoire sociale et politique des sociétés en guerre, ce numéro de la revue Bellica a pour ambition d’appréhender dans le temps long toute la complexité de la honte et de ses usages sociaux et politiques. Qualifiée, à la suite d’Aristote de passion, d’émotion ou encore de sentiment, la honte articule, à diverses échelles, l’individuel et le collectif, l’intime et le social. Le numéro souligne l’omniprésence des références à la honte, depuis le récit de la guerre de Troie proposé par l’Iliade jusqu’aux écrits des officiers de la Marine française de la Grande Guerre. La honte jette l’opprobre sur ceux dont le comportement écorne l’honneur guerrier ou sur ceux pour qui la défaite signifie le déclassement, tels les capitaines malheureux de la défaite de la Savoie contre Gênes en 1672. Les articles réunis démontrent toute la plasticité de la honte du guerrier qui recouvre une myriade de comportements sans pour autant présenter aucun caractère d’automaticité. Mise au service du politique, cette plasticité non seulement rejaillit dans la cité et poursuit les anciens combattants, et parfois leurs familles, mais constitue aussi un outil de mobilisation pour la guerre. Ce numéro analyse enfin les usages de la honte comme instrument de contrôle social : l’humiliation de l’ennemi participe de son abaissement, comme en témoignent les pillages et violences sexuées commis pendant la guerre de Cent Ans, tandis qu’au sein des groupes combattants, dans un jeu de balancier entre récompenses et punitions, l’infamie et la stigmatisation contribuent au maintien de la discipline et des hiérarchies.
Located at the intersection of the history of sensibilities on the one hand and the political and social history of societies at war on the other, this issue of the journal Bellica seeks to understand over a long span of time the complexity of shame and its social and political uses. First described by Aristotle as a passion, and since then as an emotion or a feeling, shame manifests itself at a variety of levels ranging from the individual and the collective to the intimate and the social. This issue highlights the omnipresence of references to shame, ranging from the account of the Trojan War in the Iliad to the descriptions of French naval officers during the Great War. Shame casts its scorn on those whose behavior sullies the honor of war or those for whom defeat means a loss of rank such as the unlucky commanders of Savoy following their defeat at the hands of the Genoa in 1672. The articles published here demonstrate the considerable malleability the notion of shame carries for the warrior, embodying a collection of behaviors without necessarily being automatic in their manifestations. When put to political use, the malleability of shame not only spills into the public sphere and follows war veterans into their daily lives, including those of their families in some cases; but it also creates a means for mobilizing people for war. Finally, this issue analyzes how shame can be used as an instrument of social control – the humiliation of the enemy is part of its subjugation as the pillaging and sexual violence committed during the Hundred Years' War demonstrates, or within combat units where infamy and stigmatization operate through a balancing act between rewards and punishments to ensure discipline and the hierarchical order within the group.