No. 11 (2021): Éthique et technologies numériques en éducation

					Afficher No. 11 (2021): Éthique et technologies numériques en éducation

La dimension éthique inhérente aux technologies numériques en éducation est rapportée par de nombreux auteurs (Choi, 2016 ; Downes, 2017 ; Jandrić et al., 2018). En tant que prolongement de l'action humaine dans le temps et l'espace, et en tant que formalisation des activités dans des environnements structurants, le numérique modifie l'action humaine ordinaire. Ainsi, l'introduction des technologies en éducation se retrouve sous une charge morale particulièrement intense, qui vient accroître la complexité de sa mise en œuvre sur le terrain et invite à un pas de recul pour penser et questionner les enjeux à court et à long terme. À titre d’exemple, Benade (2016) va jusqu’à interroger l’obsolescence des salles de classe.

Or, comme le questionnait Guay dès 2013, il importe de nous demander si l'école est en mesure d'assumer le bouleversement paradigmatique qu’impliquent les technologies numériques en éducation. Alors que Karsenti (2018) souligne systématiquement le succès de l'entreprise, dès lors que sont mises en œuvre des conditions de préparation adéquates, d’autres rapportent au contraire des modifications et des effets non négligeables sur l’enseignement et l’apprentissage (Wilmer, Sherman, & Chein, 2017). Qu’en est-il ?

Il convient de souligner que l'introduction des technologies numériques en éducation n’est pas sans conséquence, en outre, parce qu’elle vient modifier les responsabilités et les expertises des acteurs. Pensons par exemple aux enseignants qui peuvent en perdre la maîtrise au profit des ingénieurs IT. De plus, il importe de souligner la forte charge politique et sociale qui entoure les déploiements des technologiques numériques. À titre d'exemple, en décembre 2019, le Conseil d'État du Canton de Fribourg (Suisse) a dû répondre aux questions de « pédagogie, santé, égalité des chances, coûts pour les parents, sécurité, technologie, infrastructures, logistique » posées par de l'introduction obligatoire du Bring Your Own Device soit l’obligation pour les élèves d’apporter, à leur charge, le propre hardware informatique portable, pour la scolarité secondaire 2. Bref, les technologies numériques en éducation mènent à des transformations, des déplacements de compétences et de responsabilités et imposent des modes de fonctionnement aux acteurs (Lessig, 1999). Il importe donc de se questionner à ce propos sous l’angle de l’éthique, ce à quoi s’attardera ce numéro thématique de la revue.

Face à l'ampleur du défi, quelles réponses, ou du moins éclairages, les divers courants éthiques peuvent-ils apporter ? En quoi, par exemple, la neutralité stricte de l’utilitarisme minimaliste d’Ogien (2007), ou la promotion des diverses croyances personnelles du communautarisme de Sandel (2010) peuvent contribuer à organiser la gestion déontologiquement pertinente des technologies en éducation ? Comment l’éthique de la bienveillance et de l’hospitalité (Roux-Lafait, 2016) est viable dans la distance et dans l’asynchronie ? Ou faut-il engager une réflexion plus innovante pour y répondre ? Enfin, qu’en est-il du personnel enseignant par rapport à ces technologies (formation, responsabilités, implication, intérêt, contraintes, etc.) ? Qu’advient-il de la déontologie enseignante lorsque les connaissances sont disponibles en permanence et dans un flux qui dépasse de loin la capacité d’apprentissage humaine ?

Si ces préoccupations ne datent pas d'hier (CTIE, 2006), leur actualité, alors que le grand confinement a imposé la nécessité de généraliser les solutions numériques pour continuer à enseigner, est encore plus vive et ce questionnement est plus que jamais nécessaire.

https://www.erudit.org/fr/revues/ethiqueedufor/2021-n11-ethiqueedufor06580/

Publié-e: 2022-08-22